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Le sel de la vie

 

On ne savait pas d’où ils venaient. Ils avaient installé une bulle translucide et luminescente dans la clairière près du ruisseau. Ils étaient deux, vêtus d’une combinaison couleur de nacre, pieds nus.

Les gens du village voisin les observaient discrètement, dissimulés dans l’abri de branchages qu’ils avaient construit au faîte du grand chêne. Ils étaient à l’affût comme pour la chasse à la palombe. D’autres passaient et repassaient sur le sentier qui conduit à la rivière ou grimpaient tout en haut de la colline pour avoir une vue plongeante sur la large éclaircie au sein de la forêt.

A la veillée, chacun y allait de ses observations, de ses remarques, de ses hypothèses.

Martial disait : « Ce matin, avant le lever du soleil, alors que les toiles d’araignées ruisselaient de perles de rosée, je les ai vus marcher dans l’herbe. Ils me tournaient le dos, je ne sais pas s’ils ont des cheveux, la combinaison recouvre leur crâne. »

- Moi, dit Émile, je les ai surpris allongés dans l’herbe, en plein soleil, l’après midi. Ils avaient la tête collée au sol. Je suis sûr qu’ils écoutaient le chant des grillons. A cette heure de la journée, c’est un vrai concert.

- L’autre soir, dit Marie, ils avaient allumé un grand feu, un peu à l’écart de leur bulle. Ils étaient assis tous deux face au foyer. Ils étaient enlacés, la tête tendrement posée sur l’épaule de l’autre. Je distinguais mal leur visage éclairé par intermittence par les flammes mais ils avaient l’air heureux. Je les ai même enviés, le décor, l’atmosphère étaient tellement propices à la rêverie, tellement romantiques.

- Moi, dit Charles, j’y ai fait un tour vers minuit. La nuit était noire, sans lune. Le ciel était constellé d’étoiles. La voie lactée s’étirait d’un horizon à l’autre, je repérais facilement le bouclier d’Orion, la constellation du Lion, la grande Ourse ; parfois un satellite passait lentement tandis qu’une étoile filante s’enfuyait avec la rapidité de l’éclair. C’était magnifique. Eux aussi étaient là. Leur espèce de yourte était toute sombre. Eux étaient debout à côté. Ils avaient installé un télescope équipé d’un appareil photo ; enfin, c’est ce que j’ai cru voir, l’obscurité était si profonde.

- Moi, dit Ernest, j’ai grimpé dans la cabane, à l’affût, en fin d’après midi. Ils se sont promenés un moment au bord du ruisseau, ils se tenaient par la main, ils ont marché dans l’eau, se sont aspergés mutuellement. Ils poussaient de petits cris étranges. Ils sont plus grands que nous, je dirais pas loin de deux mètres.

- J’ai fait comme Ernest, dit Gustave. Pour la taille je suis d’accord avec lui. J’avais pris mes jumelles pour mieux les observer. Ils avaient enlevé leur espèce de cagoule. Ils sont chauves, ont de petites oreilles pointues, de très grands yeux en amande. Leur peau a l’air veloutée et douce. Elle est nacrée. Ce que nous avions pris pour une combinaison est sans doute leur peau, elle ressemble à celle d’un serpent avec de très fines écailles aux couleurs irisées. Je les ai trouvés beaux.

- Vous croyez qu’il faudrait prévenir les gendarmes, demande Clément le patriarche du village ?

- Bien sûr que non, répondent en chœur les espions. Ils font rien de mal !

- Depuis qu’ils sont là, ajoute Émilie, on s’ennuie mois, on allume plus la télé, on se retrouve chaque soir pour bavarder, échanger et ces réunions sont bien sympathiques. D’ailleurs, je vous ai fait un gâteau comme vous aimez. Clément, va donc chercher une bouteille de cidre pour accompagner !

Les villageois sont assis en rond, sous le grand tilleul au centre de la place. Sur la table de granit rose des bougies anti moustiques éclairent chichement leurs visages burinés. On entend le hululement monotone de la chouette chevêche. Des pipistrelles volent en zigzagant au-dessus de leurs têtes. Ils dégustent en silence leur part de gâteau. Cette veillée sous les étoiles les remplit de bonheur.

 

A la lisière de la forêt, deux paires d’yeux phosphorescents les observent.

Paulette Beffare Mai 2018

LA BOUTIQUE DE TONTON FLAMBEUR

 

 « La boutique de Tonton Flambeur ». Drôle de nom pour une boutique. Pourquoi surnommait-on mon tonton « Tonton Flambeur » ?  Tout simplement parce qu’il flambait. C’était un homme très riche mon tonton. Il avait inventé un objet extraordinaire qu’on ne trouvait nulle part : « le joyeux d’amour ». Oui, vous avez bien entendu « le joyeux d’amour ». Je vais vous raconter son histoire.

Mon oncle était issu d’une famille de paysans. Il s’était juré d’ouvrir une boutique de farces et attrapes pour ne pas finir paysan. Sa passion : inventer des objets.

A la mort de ses parents, il hérita de la ferme et d’un troupeau de vaches. Il décida alors de vendre le tout pour monter à la ville  pour réaliser enfin son rêve d’adolescent. Il acheta une vieille boutique en plein centre. Il confectionna des objets de toutes sortes.C’était un farceur mon tonton. Il faisait toujours des blagues. Le sourire aux lèvres, il arrivait à entourlouper les dames qui rentraient dans son magasin avec curiosité. C’était lui l’inventeur des magasins de farces et attrapes. Avant Tonton Flambeur, ça n’existait pas !

Un jour, alors qu’il était dans le sous-sol du magasin, il tomba sur un bibelot poussiéreux. C’était un objet en forme de cœur. Il y avait une petite fente où était glissé un petit papier. Ce matin-là, tonton ne s’attendait pas à faire une grande découverte. Il était écrit en lettres capitales : « Mettez ce cœur dans une marmite d’eau bouillante et d’autres cœurs apparaitront. N’oubliez pas de conserver l’original pour les reproduire. Ces cœurs feront votre fortune. Ils ont le pouvoir de vous rentre attirant. Signé : Tonton Flambeur.

A partir de cet instant, il décida de s’appelait Tonton Flambeur. Ainsi mon oncle fit fortune. Il utilisa la recette pour reproduire les cœurs. Son magasin ne désemplissait pas. Les gens venaient de loin pour s’en procurer car les cœurs leur apportaient  la joie de l’amour. Vous imaginez, chers lecteurs, le succès qu’avait mon oncle !

Un après-midi de printemps, une jeune femme pénétra dans sa boutique. Ce jour-là, mon tonton fut subjugué par sa beauté. Il en tomba amoureux.  Quelques mois plus tard, il l’épousa. Le mariage fut grandiose, à l’image de sa richesse. Mais aussi étrange que cela puisse paraitre, quelques mois après leur union, les cœurs ne voulaient plus se reproduire. Mon oncle ne comprenait pas. Sa recette ne fonctionnait plus. Pourquoi ? Pendant plusieurs semaines il retourna le problème dans tous les sens sans trouver d’explication.

Il décida de retourner au sous-sol de son magasin pour trouver un indice. Quelconque.  Sur une vieille armoire, était posée une minuscule boite. Il s’empressa de l’ouvrir. Il était écrit : « Attention, la recette ne fonctionnera plus le jour où tu te marieras avec une femme qui aura un cœur de pierre ». Mon tonton fut abasourdi par cette nouvelle car il comprit à cet instant précis qu’il avait fait le mauvais choix.

Quelques mois plus tard, effectivement, sa femme lui montra son vrai visage car l’argent ne rentrait plus dans le tiroir-caisse du magasin. Elle devint acerbe et impitoyable envers mon oncle. Elle l’avait donc épousé pour sa richesse et non pour son cœur.

Ils finirent par divorcer. Quelques semaines après leur séparation, la recette se remit à fonctionner. Tonton Flambeur retrouva son sourire.

Ainsi, pour se consoler de cette mauvaise fortune, il passa toute sa vie à séduire les dames pour ne jamais retomber amoureux.

 

Fifi Brin

Tag(s) : #Atelier d'écriture 1920
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